NOUS SOMMES L’OEUF: 5 leçons apprises…d’une architecte en formation, en Inde.
5 leçons apprises…d’une architecte en formation, en Inde.
Cette semaine dans notre série « 5 leçons apprises », Aradhana se remémore son expérience de travail en Inde. Grande voyageuse, au courant des années Aradhana a travaillé notamment au UK et en Italie. Elle a toutefois débuté ses aventures en 1998, au moment où qu’elle dépose ses valises à Ahmedabad, dans la cinquième plus grande ville de l’Inde. Aradhana sera alors entrainée sous la tutelle de Balkrishna Vithaldas Doshi, grande figure de l’architecture, récipiendaire d’un prix Pritzker et collaborateur de Louis Kahn. Avec aujourd’hui succès et expérience en poche, Aradhana nous transporte vingt-cinq ans en arrière, durant son année formatrice en Inde.
Aradhana est une talentueuse collaboratrice de L’OEUF depuis plusieurs années. Elle a notamment travaillé sur le concours C40 Montréal (gagné par le bureau en 2019) et Place Griffintown, qui vient tout juste de recevoir le feu vert du CCU. Antérieurement Aradhana a également travaillé pour les projets CCNDG, Co-op Bois-Ellen et la Maison Bronfman. Avec ses 18 années d’expérience en architecture et urbanisme au travers le monde, Aradhana est une des alliées les plus précieuses du bureau.
Voici son témoignage.
Première leçon : De l’importance des repères urbains…
« Quand je suis allée [à Ahmedabad], les adresses n’étaient pas de vraies adresses [au sens où nous l’entendons ici]. Je veux dire qu’elles ressemblaient plus à une description de l’endroit. La façon dont vous vous déplacez [à Ahmedabad] consiste uniquement à reconnaître les points de repère et je pense que c’est une manière extrêmement différente de se déplacer en comparaison aux déplacements en Amérique du Nord et en Europe. Pour quiconque a l’habitude de vivre dans une ville quadrillée, c’est totalement différent. Les premières fois que vous vous rendez n’importe où, par exemple la première fois que je suis allée au bureau ou la première fois que je suis allée dans un magasin en particulier, j’ai dû poser beaucoup de questions aux passants : « Hey, savez-vous où c’est …? » ou encore « Savez-vous où telle personne habite? » Là où j’habitais au début, chez mon oncle, sur le bâtiment il y avait le nom du bâtiment et ensuite une description qui était quelque chose comme « derrière le terrain pour les mariages, à côté du temple… ». Juste une description de la façon dont vous trouverez l’endroit. Donc, chaque fois que vous allez quelque part pour la première fois, vous vous promenez un peu et vous devez prévoir au moins une demi-heure supplémentaire pour simplement chercher l’endroit. Je pense toutefois que c’est très similaire à faire le tour d’une ville comme Londres. Même si Londres a des noms de rue et des adresses numérotées, lorsque vous vous déplacez, vous devez en quelque sorte vous souvenir de votre chemin et reconnaître les points de repère, ce qui est très différent de trouver son chemin dans une ville sur une grille. »
Deuxième leçon : …et parfois, la hiérarchie compte aussi.
« J’étais la plus junior du bureau. Je recevais ce qu’ils appelaient une ‘allocation’ (stipend). Je pouvais payer mes déplacements en trois-roues jusqu’au bureau tous les jours, ou me payer à manger tous les jours, ou même payer pour un logement. Mais je n’aurais pas été en mesure de payer pour toutes ces choses. C’était donc juste assez d’argent pour dire que je n’étais pas bénévole. (rires) Il était reconnu que si vous travailliez là-bas comme étudiant, ce qui était mon cas, vous deviez avoir d’autres moyens de subsistance. J’étais tellement TELLEMENT junior (rires). Je me souviens que nous devions appeler nos patrons « madame » ou « monsieur », c’était un environnement beaucoup plus formel qu’ici où vous pouvez être plus décontracté et appeler votre patron par son prénom. »
Troisième leçon : Dessinez afin de permettre des moments humains spontanés
« L’espace de travail de l’atelier, la façon dont il a été conçu, a été très réfléchi et était très inspirant. Il offrait un très bel endroit pour travailler en termes de confort humain. Lorsqu’il pleuvait, l’eau coulait des toits arrondis vers des canaux au sol et l’eau était ensuite utilisée pour refroidir le bâtiment. Aussi, le nom du bureau s’appelle Sangath, qui pourrait être traduit par « ensemble » ou « camaraderie », ou encore de façon plus formelle « bouger ensemble par la participation ». Je pense que la façon dont le bureau de Doshi a été conçu permet de générer des moments confortables où de petits ou grands groupes peuvent se réunir. Au moins une centaine de personnes auraient pu s’y rassembler confortablement. L’architecture elle-même jouait donc un rôle dans le confort, mais ils avaient aussi un une politique du bureau qui nous obligeait à prendre des pauses. À 10 heures du matin, quelqu’un venait avec du thé et des biscuits, puis à 15 heures, les gens étaient forcés de quitter leur poste pour sortir dehors. Je pense qu’il est vraiment important d’avoir un peu d’équilibre dans sa vie professionnelle et personnelle et de se fixer des horaires pour parler à ses collègues et apprendre à les connaître. Je suis presque certaine que cette photo a été prise pendant l’une de ces pauses. »
Quatrième leçon : Gardez les yeux ouverts pour les Rumaali Roti!
« Ma famille est en fait originaire de l’état de Uttar Pradesh. Il y a beaucoup de différences entre le Gujarat, où se trouve Ahmedabad, et le Uttar Pradesh, où se trouve Delhi. Le Gujarat est un « état sec » (‘dry state’), ce qui signifie que l’alcool n’est pas autorisé et il s’agit également d’un état végétalien. Il existe en fait un énorme tabou concernant la consommation de viande, ce qui était encore possible si vous saviez demander pour le menu secret dans les restaurants. (rires) Cela ne me dérangeait pas, car la nourriture était au combien délicieuse et tellement abordable! Dans un de mes restaurants préférés, j’adorais commander des Rumaali Rotis, qui ressemble à des rotis ordinaires mais vraiment très fins. Ils se traduisent par « pain mouchoir». C’est quelque chose que je recherche toujours aujourd’hui parce que je n’en ai pas encore trouvé dans les restaurants ici. Je salive juste à y penser! »
Cinquième leçon : Acceptez les paradoxes sur votre chemin.
« Ahmedabad est une ville très moderne. Je ne dirais pas qu’il existe une manière spécifique de se préparer à y travailler ou à visiter cet endroit. Il y a beaucoup de jeunes et de personnes instruites vivant à Ahmedabad. Soyez simplement conscients des paradoxes que vous pourriez rencontrer, car comme dans beaucoup de métropoles, il y a une ancienne culture locale qui co-existe avec la culture moderne mondiale. Par exemple, je peux honnêtement dire que je ne me suis jamais senti aussi libre que lorsque j’habitais là-bas… mais en même temps, je n’étais pas toujours libre de faire ce que je voulais. Je m’habillais définitivement de façon plus conservatrice que je ne le ferais au Canada. …mais je pouvais sortir aussi tard que je le voulais, donc ce n’était pas si différent qu’à la maison. En fait, un souvenir amusant : après minuit, le gardien fermait le portail de notre maison. Parfois, il s’endormait et je devais lancer des cailloux dans sa direction pour le réveiller. (rires) Une nuit, peut-être deux fois, j’ai dû escalader le portail parce qu’il ne voulait pas se réveiller. Je peux honnêtement dire que j’ai apprécié mon temps là-bas !